PHOTOGRAPHIES

Marianne Catzaras

PHOTOGRAPHE POETE


Son travail de photographe, ses écrits poétiques, tous ses déplacements se situent dans cette zone d’incertitude entre plusieurs exils, trois langues et deux Méditerranées. 

«Je suis née à Djerba de parents grecs. Je vous pose d'emblée mon insularité».

« J’ai grandi tout près des ports là où les bateaux partent et reviennent parfois…Le départ, le voyage, la traversée, l'autre pays au bout du voyage font partie de mon identité de Grecque et de Tunisienne. » 

Est-ce pour cela qu’à peine diplômée de lettre à la Sorbonne elle se consacre au silence de la photographie, cette langue sans frontières ? 

Elle y met d’abord en scène un monde onirique où «hommes et bêtes se mélangent dans une orchestration de l’impossible». 

« J’ai photographié très tôt pour échapper sans doute à l'injustice et aux mensonges des adultes, la photographie était comme une issue, un monde réinventé ».

Elle avance ensuite à visage découvert, « j’ai approché le monde par le portrait mais aussi par des scènes du quotidien et puis mon sujet préféré fut très rapidement les minorités, les marginaux, les exclus, les éternels migrants et la rue confuse bruyante, mélangée ».    

Ses premiers portraits sont déjà marqués par la diversité et l’errance où l’oeil du poète avec celui du photographe se focalisent sur les minorités noires de l’île de Djerba, les gitans de Grèce… ils suivent, les yeux dans les yeux, le cours rapide et mouvementé des migrations d’aujourd’hui, des femmes oubliées, des sans-grades, là où sont les banlieues de ce monde, où la douleur est au delà du temps.

« Les minorités, la diaspora, les identités solitaires, exposées, les gens de la rue, ceux du voyage, les exilés les réfugiés, les déportés, les emprisonnés, les différents, ceux qui ne répondent pas à la ronde commune, eh bien je les aime! »

« Non seulement parce qu'ils m'accompagnent depuis toujours mais aussi parce que je suis née chez eux, j'ai grandi avec eux donc je photographie ma famille au fond, les miens, les fragiles, ceux dont on se moque, ceux qui ne parlent pas la langue du pouvoir ».

En 2017 à Tunis une exposition de portraits : les visages tragique des femmes qui ont perdu leur enfant à Lampedusa, témoignages poignants de ces « mères endolories et résistantes qui montrent aux yeux du monde indifférent et muet les photographies de leur enfant disparu en leur sein et sur leur ventre…dans les quartiers pauvres de la capitale avec pour horizons les ports ».  

Portraits minéraux, visages qui racontent, mémoire des pierres, hammams mouvants, paysages secrets, calligraphie des arbres, visages qui vous appellent et silhouettes qui s’en vont, nues ou voilées, les vêtements vides ou habités, vers des escaliers interrompus, des routes de pierre, d’eau et de sable aux couleurs de la mer ou de l’écriture - noir sur blanc - à la recherche des traces perdues. 

Où va-t-elle? Vers quel pays revenir? Rentrer à Tunis ou à Djerba? Retourner à Ithaque ? Regagner Paris?  

Où est-elle? 

Parfois la voix du poète, venue d’ailleurs, se fait entendre à côté du silence, sa voix de plume, celle de l’oiseau migrateur qui joue avec les courants d’air mais ne connaît ni saison ni territoire, celle du voile qui se déchire pour dire la musique et mettre à nu le voleur d’images derrière son objectif sans rien cacher de l’amour, de la rigueur et de la douleur de son art. 


Catherine Farhi 


Les citations de Marianne Catzaras sont tirées de l’interview du Huffington Post du 13 Mai 2017